Plainte contre un enseignant argentin : l’accès à l’éducation en question 18/05/2009 by Catherine Saez, Intellectual Property Watch Leave a Comment Share this:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window)Un professeur argentin de philosophie qui avait mis en ligne sur Internet des traductions en espagnol des travaux du philosophes français Jacques Derrida est actuellement poursuivi par la justice pour violation présumée des droits d’auteur, selon l’organisation Copy South Research Group. Cette affaire met en lumière les restrictions à l’accès à l’éducation qui découlent de l’application du droit d’auteur. Dans l’optique de permettre aux lecteurs et aux étudiants de pouvoir lire en espagnol les écrits de philosophes étrangers, le professeur Horacio Potel a indiqué avoir créé trois sites Internet : le premier intitulé “Nietzsche en espagnol” en décembre 1999, le deuxième “Heidegger en espagnol” en juin 2000 et le troisième “Derrida en espagnol” en juin 2001. Le 19 février, il a été informé que des poursuites pénales avaient été engagées contre lui à l’initiative des Editions de Minuit, une maison d’édition française. Plainte avait été déposée en décembre 2008 par la maison d’édition qui avait ensuite été transmise à l’Ambassade de France en Argentine pour servir de base à l’action intentée par la Chambre argentine des livres contre Horacio Potel, selon le Copy South Research Group. Buenos Aires compte deux librairies spécialisées dans la philosophie qui commercialisent quelques ouvrages de Jacques Derrida, a indiqué Horacio Potel. Dans le reste du pays, il est très difficile de se procurer les livres du philosophe car il y a peu de librairies et encore moins qui vendent des ouvrages de philosophie, a-t-il précisé. L’industrie éditoriale argentine a perdu de sa vigueur au cours des récentes décennies, a souligné Horacio Potel dans un entretien; près de 90 pour cent des ouvrages de philosophie vendus sont importés d’Espagne et facturés en euros, ce qui les rend extrêmement chers. Les photocopies, qui sont également considérées comme une violation des droits d’auteur, constituent le matériel de base des enseignants de l’université en Argentine, a-t-il fait remarquer. Pouvoir photocopier les manuels est crucial pour les étudiants et les enseignants, a indiqué Roberto Verzola de CopySouth à Intellectual Property Watch. «Les défenseurs des droits d’auteur s’efforcent de rendre la photocopie illégale mais dans certains pays, leur action est tout simplement ignorée», a-t-il précisé. «Les gouvernements n’en continuent pas moins de subir des pressions de la part des Etats-Unis, de l’Europe et d’autres défenseurs des droits d’auteur pour interdire la photocopie dans les universités et les bibliothèques scolaires. Certains ne pourront peut-être pas résister, ce qui ne sera pas sans poser de gros problème en termes d’éducation », a-t-il averti. «Les informations disponibles sur mon site Internet concernant Derrida étaient le résultat de plusieurs années de collecte et de travail et constituaient un instrument de production intellectuelle qu’il est impossible de remplacer par des moyens analogiques », a souligné Horacio Potel, qui a retiré de son site tous les contenus controversés. Les Editions de Minuit prétendent détenir les droits sur cinq ouvrages de Derrida, qui ont tous été publiés en français. Elles ont indiqué à Intellectual Property Watch, qu’elles avaient l’intention de faire respecter ces droits, qui leur permettent entre autres, d’envoyer chaque année des chèques de redevances à la veuve de Jacques Derrida. «En sept ans, Horacio Potel a mis en ligne gratuitement et sans autorisation des versions complètes de plusieurs ouvrages de Jacques Derrida, ce qui est néfaste à la diffusion de sa pensée», a précisé la maison d’édition qui a indiqué avoir écrit à plusieurs reprises à l’enseignant pour lui demander de mettre fin à ses agissements sous peine d’action en justice. Horacio Potel, qui nie avoir reçu ces courriers, se souvient uniquement d’un courrier électronique envoyé en 2007, qu’il a perdu suite à une panne d’ordinateur, lui demandant de fermer son site, « comme si la maison d’édition détenait tous les droits sur les ouvrages de Jacques Derrida ». L’enseignant estime que les Editions de minuit n’avaient aucun droit de lui demander de fermer son site pour obtenir que le matériel dont elles avaient acquis les droits d’auteur ne soit plus diffusé en ligne. Il a précisé que lorsqu’il avait mis ces textes en ligne sur son site, il y a dix ans, personne n’aurait imaginé que la loi sur la propriété intellectuelle (11.723 (235) [en espagnol] en vigueur dans le pays depuis 1933 pourrait être utilisée pour criminaliser une activité qui n’existait même pas lorsque la loi a été adoptée. L’étau se resserre autour du matériel éducatif Pour Federico Heinz de la Fundación Via Libre, une organisation non gouvernementale argentine qui défend les droits civils à l’ère numérique, la cas Horacio Potel « montre à quel point les législations sur le droit d’auteur sont devenus inadéquates. » Ces législations, qui permettaient autrefois de réglementer les activités commerciales, sont maintenant utilisées à l’encontre d’utilisateurs non commerçants, a-t-il indiqué, ajoutant que le fait que l’Argentine ait adopté le traité de l’Oragnisation Mondiale de la Propiété Intellectuelle de 1996 sur le droit d’auteur n’avait pas aidé Horacio Potel. Selon Copy South Research Group, la Chambre argentine des livres a déjà été à l’origine d’une descente de police à l’Université de Buenos Aires et de la condamnation de quelques professeurs accusés d’avoir encouragés les étudiants à photocopier des livres et des articles. Des actions en justice ont également été intentées en Colombie, a précisé Carolina Botero, une juriste membre de CopySouth, Creative Commons et de la Fondation colombienne Karisma. De fait, la Colombie figure dans l’édition 2009 du rapport spécial 301 [pdf en anglais] du bureau du Représentant américain au commerce (Office of the US Trade Representative ou USTR) publié le 30 avril qui dresse chaque année la liste des partenaires commerciaux considérés comme laxistes en termes de protection des droits de propriété intellectuelle (DPI) américain. Dans ce rapport, les Etats-Unis demandent en particulier au gouvernement colombien de prendre des mesures afin de réduire le piratage du livre et des supports numériques. L’inclusion de la Colombie dans la liste devrait déboucher, selon Carolina Bottero, sur un renforcement des sanctions. Dans un rapport parallèle [pdf en anglais] soumis avant la publication de l’édition 2009 du rapport spécial 301, l’IIPA (International Intellectual Property Alliance), une coalition regroupant des entreprises privées détentrices de droits d’auteur, a également demandé à l’USTR d’empêcher la photocopie non autorisée d’ouvrages et de journaux dans les instituts de formation colombiens, a précisé Carolina Botero. En Amérique latine, selon elle, la plupart des manuels scolaires sont publiés par des maisons d’édition étrangères et vendus à des prix élevés, ce qui les rend difficilement accessibles pour des étudiants démunis. «Le secteur éducatif a des besoins spécifiques qui ne sont pas satisfaits », a-t-elle ajouté. Acheter un livre est en soi un défi si on considère que la plupart des librairies et des bibliothèques sont situées dans les zones urbaines, en particulier dans les principales villes, ce qui laisse très peu d’options pour les étudiants vivant dans les petites localités, a conclu Carolina Bottero. Horacio Potel précise qu’il ne connaît pas le contenu de la plainte déposée par les Editions de minuit et qu’il n’a pas encore eu de nouvelles du juge, mais que son avocat allait demander un retrait des charges retenues contre lui. Les Editions de Minuit n’ont pas le droit de s’exprimer au nom de Derrida ou de ses descendants, a souligné Horacio Potel, qui estime qu’en retirant ses écrits de l’Internet, elles avaient tué le philosophe une deuxième fois. Traduit de l’anglais par Véronique Sauron Share this:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window) Related Catherine Saez may be reached at csaez@ip-watch.ch.Avec le soutien de l'Organisation internationale de la Francophonie."Plainte contre un enseignant argentin : l’accès à l’éducation en question" by Intellectual Property Watch is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License.