Traité ACTA : inquiétudes concernant le caractère secret des négociations 15/08/2008 by Catherine Saez, Intellectual Property Watch 2 Comments Share this:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window)Par Monika Ermert pour Intellectual Property Watch Des représentants des milieux industriels et gouvernementaux, ainsi que des experts dans le domaine du droit de la propriété intellectuelle se sont déclarés surpris par le secret qui entoure les négociations sur le Traité international de lutte contre la contrefaçon (ACTA). Ces négociations, qui pourraient déboucher sur l’adoption de règles générales plus strictes concernant sur le piratage et la contrefaçon, ont enregistré des avancées cette semaine. Répondant à une demande de Intellectual Property Watch, un porte-parole de la Commission européenne a indiqué, en référence aux deux cycles de négociation qui ont lieu jusqu’à présent, qu’il était peu probable à ce stade que le contenu des négociations soit rendu public. Selon ce porte-parole, les discussions sur les mesures douanières ont progressé sans toutefois aboutir. Les aspects relatifs à la coopération entre les autorités douanières n’ont, en revanche, pas encore été discutés. Généralement, les discussions concernant la coopération entre les autorités chargées de l’exécution des lois interviennent plus tard dans les négociations, a-t-il précisé. Un communiqué de presse sur les travaux qui ont eu lieu cette semaine a été publié par la Commission européenne. Selon ce communiqué, les discussions ont porté principalement sur « les mesures civiles applicables aux atteintes aux droits de propriété intellectuelle, notamment sur la possibilité d’ordonner des mesures préliminaires, la préservation des éléments de preuve, les dommages-intérêts et les frais juridiques. » Le communiqué reste vague, évoquant des « progrès constants » et une poursuite des travaux « au cours d’une prochaine réunion qui se déroulera dans un avenir rapproché, à un moment qui conviendra à toutes les parties ». La date et le lieu de cette prochaine réunion n’ont pas encore été fixés, d’après le porte-parole de la Commission, qui précise néanmoins qu’elle devrait avoir lieu, selon toute vraisemblance, dans la première quinzaine du mois d’octobre. Il est possible, a-t-il indiqué, « qu’un premier projet concernant les violations des droits de propriété intellectuelle touchant à l’Internet » soit élaboré et discuté à cette occasion. Les promoteurs du projet avaient fixé à la fin de l’année le délai pour parvenir à un accord. Les représentants de l’industrie américaine, les groupes de protection des consommateurs et les organisations de défense des droits civils sont très inquiets en ce qui concerne la violation des droits de propriété intellectuelle sur les réseaux en ligne. En France, pays qui assure actuellement la Présidence de l’Union européenne, un texte faisant obligation aux opérateurs et aux fournisseurs de services Internet de contrôler, voire de filtrer, les activités des internautes a été inscrit au calendrier législatif. Débats au sein de l’Union européenne et conséquences sur le projet de traité Lors des débats qui ont eu lieu sur la révision de la réglementation des télécommunications et de l’Internet (Paquet télécoms), un amendement a été proposé afin de légaliser ce principe au niveau européen, mais il a été rejeté par la majorité des membres du Parlement européen. Selon le porte-parole de la Commission, la question de la «riposte graduée » qui permet de couper l’accès Internet des pirates présumés, n’a pas été discuté dans le cadre des négociations de l’ACTA. «La position de l’Union européenne sur cette question doit être fondée sur le droit européen », a indiqué le porte-parole. Les discussions en cours au sein de l’Union européenne, en particulier celles sur le paquet télécoms, revêtent une importance considérable pour l’ACTA. Selon ce qu’a déclaré un représentant du Forum Dialogue transatlantique des consommateurs (DTAC) à Intellectual Property Watch, les organisations non gouvernementales européennes craignent que soit adoptée une nouvelle directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle, plus connue sous le nom de IPRED 2, harmonisant les sanctions pénales prévues en cas d’infraction aux droits de propriété intellectuelle. Les discussions concernant la directive ont duré plus d’une année. Cette harmonisation pourrait contrer les arguments mis en avant par les experts de l’Association pour une infrastructure de l’information libre (FFII) pour s’opposer à l’adoption de l’ACTA. «Concernant les sanctions pénales, aucune avancée n’est possible sans une harmonisation des politiques dans ce domaine », a indiqué la FFII dans son analyse. Les experts de l’Association pointent également le fait que l’accord ne pourrait être étendu aux actes non commerciaux sans un vote unanime des membres du Conseil européen, l’approbation du Parlement européen et l’accord des Etats membres. Selon des sources, le représentant américain au commerce a également promis aux participants à une séance d’informations organisée à la fin du mois de juin que la loi américaine ne subirait aucune modification du fait de l’adoption de l’ACTA, ce qu’a démenti une source proche des milieux industriels interrogé par Intellectual Property Watch concernant en particulier le filtrage sur Internet : «Il pourrait introduire la notion de bonnes pratiques là où elle n’a pas lieu d’être», a indiqué cette source. L’accord peut également aboutir à ce qu’une entreprise américaine puisse être jugé responsable en cas de piratage ou de contrefaçon, contrairement à ce que prévoit la loi américaine, comme le montre le jugement prononcé à l’encontre de eBay. Un problème clé pour les ONG réside, selon Manon Ress de Knowledge Ecology International (KEI), dans le fait que « la protection prévue par le projet de traité pourrait entrer en conflit avec la doctrine du « fair use » (usage loyal) que nous utilisons ». Un autre sujet d’inquiétude pour ces organisations concerne l’accès facilité aux médicaments, notamment les risques liés aux importations parallèles et au piratage. Manon Ress a estimé qu’il y avait des signes qui montraient une volonté « de faire obstacle à la vente parallèle légale de marchandises, notamment à la revente de produits pharmaceutiques de marque. » L’adoption des dispositions de l’ACTA « permettrait d’engager la responsabilité des fabricants d’ingrédients pharmaceutiques actifs utilisés pour fabriquer des contrefaçons, ce qui pourrait les rendre plus réticents à vendre leurs produits aux fabricants de médicaments génériques et, par conséquent, nuire de manière significative au fonctionnement de l’industrie des médicaments génériques. » La question d’une éventuelle criminalisation des sanctions a soulevé de vives critiques parmi les experts en droit de l’Union européenne lors des discussions sur le projet IPRED 2 qui ont eu lieu l’année dernière. Eva Lichtenberger, eurodéputé et rapporteur de la Commission des affaires juridique du Parlement européen a indiqué qu’il était nécessaire, compte tenu de la complexité et de la diversité de projets législatifs en cours d’examen au sein de l’Union et des pressions en faveur de nouvelles mesures visant à faire respecter les droits de propriété intellectuelle et autres, d’utiliser les options de contrôle offertes par la technologie Internet.« Il est important que nous gardions un œil sur ce qui se trame en coulisse. » Il serait préjudiciable à l’innovation que les grandes entreprises multinationales tirent tous les avantages de ces négociations et qu’aucune attention ne soit accordée aux petites et moyennes entreprises, a-t-elle conclu. Des négociations secrètes qui soulèvent la suspicion Certaines sources qualifient les négociations secrètes qui se sont poursuivies à Washington, DC cette semaine de « très spéciales », « d’uniques au regard du secret qui les entourent» et « de première fois où le milieu industriel est maintenu à l’écart d’un accord d’une telle importance ». Il est extrêmement important que le projet de traité soit rendu public, a indiqué Eva Lichtenberger exigeant que tous les textes discutés dans le cadre de négociations sur l’ACTA soient publiés. Elle espère que lorsque le Parlement sera appelé à donner son avis sur le traité cet automne il ne disposera pas uniquement des rapports résumés des experts de la Direction générale du commerce de la Commission européenne qui ont été chargés des négociations. Eva Lichtenberger a estimé que même s’il paraît difficile de recourir à des moyens juridiques pour contraindre les parties impliquées dans les négociations à rendre le contenu de l’accord public, une non divulgation aurait des conséquences dévastatrices pour l’Union européenne. Exclure l’opinion publique de ce processus ne fera qu’augmenter le nombre d’eurosceptiques, a-t-elle averti. « L’attitude qui s’impose tient, je dirais, en trois mots : transparence, transparence, transparence». Diverses entités invitées à se prononcer dans plusieurs pays ne sont pas contentes de la manière dont se déroule la consultation. Internet NZ, l’organisme chargé de gérer le système d’enregistrement des adresses “nz”, a indiqué dans une déclaration « qu’aucune information officielle n’était disponible concernant le projet de traité et les discussions qui ont eu lieu sur ses dispositions » et qu’il était « difficile de commenter un texte sans l’avoir vu ». Selon une source provenant de l’industrie américaine l’impression domine jusqu’à présent que les consultations ont été organisées de manière très sélective en s’appuyant sur la devise que l’on retrouve dans la « Ferme des animaux », le roman de George Orwell, selon laquelle « Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Certaines déclarations faites par le BASCAP (Business Action to Stop Counterfeiting and Piracy) de la Chambre de commerce internationale (CCI) laissent à penser que celui-ci dispose d’informations supplémentaires concernant les projets de textes qui ont été discutés à Genève et à Washington. Au terme de la réunion qui a eu lieu à Washington le 31 juillet, les négociateurs ont souligné leur intention de «poursuivre les consultations avec les parties concernées à l’échelon national, de discuter des résultats lors de leur prochaine réunion et d’explorer d’autres voies de consultation dans le cadre des prochaine réunions consacrées à l’ACTA ». Pour autant, le porte-parole de la Commission a indiqué qu’à ce stade des négociations, il était peu probable que le projet soit rendu public. «Le texte final sera diffusé lorsqu’il sera prêt à être signé par les parties concernées », a-t-il indiqué. Il sera présenté au Conseil et au Parlement européen sous le statut de documents à distribution limitée. Il appartiendra aux Etats membres de le présenter à leurs Parlements nationaux. Tout en admettant leur opposition à la contrefaçon, qui trompe les consommateurs sur l’origine des produits qu’ils achètent, les critiques disent craindre les graves conséquences résultant de l’adoption d’un instrument international trop général ou mal rédigé. L’une d’entre elles a proposé «de restreindre l’accord et de le limiter aux biens matériels» qui ne « concernent pas l’Internet en priorité ». Une chose est sure, tant que la transparence ne sera pas faite autour de ce mystérieux accord, les inquiétudes le concernant continueront d’augmenter. 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