Suspension des obligations au titre de l’Accord sur les ADPIC: une alternative croissante en matière de sanction 16/05/2008 by Catherine Saez, Intellectual Property Watch Leave a Comment Share this:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window)Par Catherine Saez Prendre des mesures de rétorsion à l’égard d’un pays violant les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en sanctionnant les activités qu’il exerce dans un secteur autre que celui concerné par la violation constitue une alternative efficace aux mesures de rétorsion touchant le secteur concerné par la violation, en particulier quand ces mesures portent sur les règles applicables aux droits de propriété intellectuelle, a expliqué cette semaine un expert dans le cadre d’un groupe de discussion. Les mesures de rétorsion que peuvent utiliser les pays en développement à l’égard des pays membres de l’OMC ne respectant pas leur obligations malgré que l’Organe de règlement des différends a prononcé une décision en leur défaveur semblent avoir un impact insignifiant sur les pays en question, voire des effets négatifs sur les économies des pays en développement. Une alternative efficace pour faire respecter les règles de l’OMC semble résider dans l’utilisation de mesures de rétorsion croisée selon Henning Grosse Ruse-Khan du Max Planck Institute for Intellectual Property, auteur d’un article intitulé “Suspending IP Obligations under TRIPS: a Viable Alternative to Enforce Prevailing WTO Rulings?” qu’il a présenté, le 6 mai, lors d’une manifestation organisée au Centre pour le droit international de l’environnement (CIEL). Des représentants de gouvernements, d’organisations internationales, d’institutions régionales et d’organisations non gouvernementales avaient été invités pour l’occasion à échanger leurs vues sur ce document. Un article complet sur le sujet sera publié prochainement dans le Journal of International Economic Law. En vertu du Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, tout différend opposant des pays membres de l’OMC est soumis à l’Organe de règlement des différends, qui est chargé de formuler des recommandations. Ces recommandations ont habituellement pour objectif d’obtenir la modification ou le retrait des règles nationales contraires aux règles de l’OMC, a indiqué Henning Grosse Ruse-Khan. Toutefois, si un Etat membre ne se conforme pas aux recommandations formulées par l’Organe de règlement des différends, la partie plaignante pourra, en dernier recours, suspendre à titre temporaire les concessions accordées à l’État mis en cause ou l’exécution de ses obligations à son égard. Ce type de rétorsion peut avoir un impact négatif pour le pays qui obtient gain de cause du fait des déséquilibres économiques et commerciaux qui existent entre les pays membres de l’OMC, le prix des importations pouvant augmenter à des niveaux inacceptables pour la population locale. Dans deux décisions importantes, l’Organe de règlement des différends a autorisé les pays en développement ayant obtenu gain de cause à utiliser l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) pour obliger le pays mis en cause à se conformer aux règles de l’OMC. Suite au différend qui les a opposé aux Etats-Unis concernant respectivement les subventions aux producteurs de coton et les mesures interdisant la fourniture transfrontière de services de jeu, le Brésil et Antigua ont annoncé leurs intentions de prendre des mesures de rétorsion croisée en suspendant à l’égard des États-Unis l’application de leurs obligations au titre de l’Accord sur les ADPIC. De fait, selon certains, l’augmentation des tarifs douaniers ou l’instauration d’autres barrières aux importations à l’encontre d’un pays ne respectant pas les règles de l’OMC engendre une hausse des prix et la non disponibilité de certains produits ou services qui touche en premier lieu la population du pays ayant obtenu gain de cause. Dans le cas d’Antigua, il aurait été impossible, selon les évaluations faites au niveau national, de prendre des mesures de rétorsion à l’encontre des Etats-Unis dans le secteur des services sans que cela n’ait un impact négatif sur le tourisme, secteur vital pour l’économie de ce petit pays des Caraïbes. Les mesures de rétorsion croisée peuvent, dans certains cas, être « efficaces, licites et pratiques » pour faire appliquer une décision de l’OMC dans la mesure où elles sont autorisées dans des circonstances spécifiques, a indiqué Henning Grosse Ruse-Khan. Sachant que les droits de propriété intellectuelle représentent souvent le principal atout de beaucoup de pays développés, le fait pour un pays membre de suspendre ses obligations à l’égard de ces derniers apparaît comme un outil efficace pour les obliger à respecter les règles de l’OMC. Comme l’ont fait remarquer certains observateurs, ces mesures sont susceptibles d’entraîner une réaction des puissantes industries de contenu à Washington, ce qui peut permettre de favoriser le respect des règles commerciales en vigueur. Recourir à des mesures de rétorsion croisée peut favoriser la disponibilité sur le marché domestique des pays en développement de marchandises ou services protégés par des droits de propriété intellectuelle, en encourageant notamment la production d’un montant déterminé de médicaments essentiels, a indiqué Henning Grosse Ruse-Khan. Les mesures peuvent également être étendues aux droits d’auteur, en favorisant la traduction et la reproduction de manuels scientifiques à des fins éducatives et en permettant aux instituts nationaux de recherche et à l’industrie de pourvoir accéder à des technologies brevetées. Selon certains observateurs, l’un des principaux risques liés au déclenchement de mesures de rétorsion croisée au titre de l’Accord sur les ADPIC réside dans les relations étroites qui existent, à tous le moins aux Etats-Unis, entre les industries de contenu et l’opinion publique. L’autorisation accordée à Antigua par l’OMC d’obtenir réparation par le biais de l’Accord sur les ADPIC a suscité certaines critiques, des journaux populaires qualifiant le pays de « pirate des Caraïbes » au motif qu’il ne faisait pas respecter les droits de propriété intellectuelle. En fait, rien ne permet de dire si, en cas de pression, un pays obtenant gain de cause dans un différend osera recourir à la rétorsion croisée. Mais au moins pourra t-il disposer d’une monnaie d’échange supplémentaire dans le cadre des relations bilatérales qu’il entretient avec les économies plus puissantes, ont estimé des observateurs. Conditions applicables aux mesures de rétorsion croisée En principe, selon les règles régissant le règlement des différends, les sanctions devraient être imposées dans le même secteur que celui qui fait l’objet du différend. Si cela n’est pas possible ou efficace, elles peuvent être imposées dans un autre secteur visé par le même accord. Si cela n’est pas non plus efficace ou possible et si les circonstances sont suffisamment graves, la mesure peut être prise en vertu d’un autre accord. L’objectif est de limiter autant que possible la probabilité que la mesure prise n’ait des répercussions sur d’autres secteurs, tout en assurant son efficacité. Le pays prenant des mesures de rétorsion croisée doit démontrer que ces conditions sont réunies, ce qui n’est pas chose aisée, en particulier lorsqu’il s’agit de prouver que les circonstances revêtent un caractère suffisant de gravité. Pour autant, Henning Grosse Ruse-Khan estime que « toutes les petites économies », lorsqu’elles sont durement touchées par des violations aux règles de l’OMC, sont susceptibles de répondre à ces conditions. La suspension des avantages découlant de la protection des droits de propriété intellectuelle peut être contraire à certaines obligations internationales en matière de propriété intellectuelle, a indiqué Henning Grosse Ruse-Khan, notamment aux clauses ADPIC-Plus contenues dans certaines accords de libre-échange bilatéraux (qui vont au-delà des obligations imposées par l’accord ADPIC) ou aux accords multilatéraux relatifs à la propriété intellectuelle conclus en dehors de l’OMC et imposant une protection supplémentaire ou concurrente. L’autorisation accordée à l’état plaignant de suspendre les avantages découlant de la protection des droits de propriété intellectuelle au titre de l’Accord sur les ADPIC ne s’étend pas aux obligations qui lui incombent en vertu d’autres accords multilatéraux conclus avec l’Etat auteur de la violation. De manière générale, la décision prise par un Etat de suspendre simultanément toutes ses obligations découlant de la protection des droits de propriété intellectuelle pour l’abaisser en-dessous ou à un niveau égal au standard de protection fourni dans l’Accord sur les ADPIC devrait être justifiée par le droit général reconnu à cet Etat d’adopter des contre-mesures (à l’égard des états membres qui ne respectent pas leurs obligations). Réaction des commentateurs Thomas Sebastian, expert en politique au Centre consultatif sur la législation de l’OMC, a indiqué qu’il était globalement d’accord avec la plupart des points abordés dans l’étude. Bien qu’il soit encore trop tôt, selon lui, pour généraliser à partir de ces deux affaires, il est clair que l’application de sanctions dans un autre secteur que celui concerné par la violation favorise le bien-être de la population. « La question continue de faire l’objet de nombreuses discussions”, a-t-il indiqué, soulignant que les pays désireux de recourir à ce type de sanction avaient encore beaucoup à faire pour démontrer la nécessité d’une telle approche. Il a également mis en garde contre l’efficacité des lobby actifs dans le domaine de la propriété intellectuelle: « ils seront en mesure d’influencer des changements de politique. » L’équivalence l’un des principaux problèmes, selon Thomas Sebastian, dans la mesure où il paraît difficile de créer un système permettant de la mesurer. Le niveau des suspensions demandées par un pays membre doit être équivalent à la réduction des avantages subis. Dans l’affaire des services de jeux, le gouvernement d’Antigua a été autorisé à demander une suspension de ses obligations au titre de l’Accord sur les ADPIC à un niveau ne dépassant pas 21 millions de dollars américains par an alors qu’il avait demandé une suspension de ses obligations pour un montant de 3,4434 milliards de dollars, les Etats-Unis l’estimant à 500 000 dollars, selon Henning Grosse Ruse-Kahn. Une demande de sanction se doit d’être précise et ne peut être formulée en des termes vagues, ce qui peut s’avérer difficile pour les pays en développement a indiqué Thomas Sebastian. Un représentant du gouvernement belge a précisé que dans la mesure où les Etats-Unis détiennent près de 75 pour cent des droits de propriété intellectuelle, il est probable que ce système de sanction ne soit applicable que dans les différends concernant ce pays. Compte tenu du peu de droits de propriété intellectuelle détenus par les pays en développement, il s’est demandé si l’imposition de sanctions dans un secteur autre que celui concerné par la violation était envisageable dans les litiges opposant deux pays du Sud. En réponse, Henning Grosse Ruse-Khan a estimé que la propriété intellectuelle représentait un enjeu important pour l’Inde et la Chine et que, dès lors, ce type de sanction pouvait constituer une alternative valable y compris dans les litiges opposant deux pays du Sud. Share this:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window) Related "Suspension des obligations au titre de l’Accord sur les ADPIC: une alternative croissante en matière de sanction" by Intellectual Property Watch is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License.