La justice s’interroge sur la constitutionnalité du système brésilien de pipeline 29/01/2008 by Catherine Saez, Intellectual Property Watch Leave a Comment Share this:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window)Par Claudia Jurberg pour Intellectual Property Watch RIO DE JANEIRO – Des institutions de la société civile ont fait part au Procureur général, Antônio Fernando Barros e Silva e Souza, de leurs doutes sur la conformité à la Consititution de l’un des aspects de la loi brésilienne relative à la propriété industrielle connu sous le nom de « pipeline ». Ce système, qui a été instauré par les articles 230 et 231 de la loi 9.279/96, permet de valider les brevets accordés par d’autres pays dans des domaines nouveaux non encore reconnus, notamment dans le domaine pharmaceutique et alimentaire, à compter de la date indiquée dans la demande initiale. Selon certaines sources, l’adoption de cette règle a permis à certaines société de jouir d’une position de monopole sur la vente de produits appartenant déjà au domaine public. Certains membres de la société civile estiment que ce type de brevet viole le principe qui veut que l’intérêt public et la poursuite du développement économique et technologique national doit primer sur les droits de propriété intellectuelle. Le Procureur général devrait se prononcer sur cette demande dans les prochaines jours. Si elle est acceptée, elle sera transmise à la Cour fédérale supérieure, qui examinera son bien-fondé. Selon Lia Hasenclever, économiste à l’Université fédérale de Rio de Janeiro, 1182 demandes de brevets de type pipeline avaient été déposées au Brésil à la fin des années 90 ; 45 pour cent provenaient des Etats-Unis, 13 pour cent du Royaume Uni, 10 pour cent d’Allemagne, 9,6 pour cent du Japon, 7,7 pour cent de France. Le système de pipeline a été créé dans le cadre de la mise en oeuvre de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) signé en 1994, qui contient une clause exigeant la reconnaissance des brevets dans le domaine pharmaceutique et alimentaire. L’Article 27 paragraphe 1 de l’Accord précise qu’un « brevet pourra être obtenu pour toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle ». Le gouvernement brésilien aurait pu utiliser la période de transition de cinq ans accordée aux pays en développement, mais il a décidé dès 1997, sous la pression, d’appliquer les dispositions de l’Accord et d’appliquer le système de pipeline, qui permet de reconnaître et de valider les brevets accordés dans d’autres pays dans des domaines de recherche nouveaux, notamment dans le domaine pharmaceutique et alimentaire. Les demandes déposées ne font l’objet d’aucune analyse technique de la part de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), l’office brésilien des brevets, qui, en temps normal, s’assure que l’invention faisant l’objet de la demande de brevet constitue une nouveauté, une innovation et est susceptible d’application industrielle. Selon Mauro Maia, avocat à l’INPI, le système de pipeline a permis aux entreprises pharmaceutiques, grâce à des prix et redevances élévés, d’engranger des bénéfices exceptionnels. « Nous sommes face à un véritable scandale », a t-il déclaré. Les investissements ont-ils suivi ? En acceptant de respecter les obligations de l’Accord sur les ADPIC avant la fin de la période de transition, en 2005, le Brésil s’est engagé à reconnaître tous les brevets accordés dans d’autres pays et portant sur des produits pharmaceutiques et alimentaires. À l’époque, le gouvernement pensait que, conformément à leurs promesses, les multinationales allaient investir dans la recherche. Mais la réalité a été toute autre, selon plusieurs observateurs. Les investissements consentis ont été décevants et le système de pipeline coûte cher à la société, ont-il indiqué. Lia Hasenclever estime que le système de pipeline est une “aberration” car il favorise les multinationales au détriment de l’industrie nationale. Un porte-parole de l’entreprise pharmaceutique Merck, Sharp & Dohme a critiqué ce constat négatif, indiquant à Intellectual Property Watch qu’au cours des dernières années près de 10 millions de dollars américains avaient été investis chaque année, au Brésil, dans le domaine de la recherche. « Ces investissements sont parmi les plus importants au niveau national, en comparaison avec les autres entreprises pharmaceutiques, et représentent l’un des cinq projets d’investissement internationaux les plus importants de l’entreprise », a-t-il précisé. Les ONG n’en continuent pas moins d’insister sur les problèmes posés par le système de pipeline. « L’octroi de brevets portant sur des produits en cours de développement constitue également une violation des droits de la collectivité dans la mesure où ils permettent de sortir du domaine public des connaissances appartenant à tous, ce qui, une fois encore, va à l’encontre des intérêts de la société », a indiqué Renata Reis, une avocate travaillant pour l’Association brésilienne interdisciplinaire de lutte contre le Sida, une organisation non gouvernementale. Les brevets portant sur les médicaments antirétroviraux destinés aux personnes atteintes par le VIH/sida offrent un bon exemple des problèmes inhérents au système de pipeline, selon certaines critiques. Le Brésil a élaboré un programme de lutte contre le sida, qui est considéré comme un modèle par de nombreux pays. Jusqu’en 1990, l’accès aux médicaments était garanti et des médicaments antirétroviraux étaient produits au niveau national. Après 1997 et l’instauration du système de pipeline, le processus a été interrompu, a indiqué Lia Hasenclever. Près de 600 000 personnes sont séropositives ou vivent avec le virus du sida au Brésil. Elles sont plus de 200 000 à bénéficier de médicaments distribués gratuitement par le gouvernement. Le Procureur général illustre par des chiffres la situation créée par le système pipeline dans le cas des médicaments antirétroviraux. Selon lui, la distribution de médicaments antirétroviraux, 18 au total, représente un coût de près de 750 millions de dollars américains pour le ministère de la Santé, 80 pour cent de ce budget étant affecté à l’achat de quatre médicaments protégés par des brevets relevant du système pipeline. Une étude a été réalisée par des économistes de l’Université fédérale de Rio de Janeiro afin de calculer le montant des éventuelles pertes financières subies par le gouvernement au cours de la période 2001-2007 suite à l’adoption du système pipeline. Elle a montré que l’achat de ces médicaments, du fait de l’octroi de brevets non justifiés, représentait un surcoût de 420 millions de dollars américains pour le gouvernement brésilien par rapport au prix minimum fixé par l’Organisation mondiale de la Santé et de 519 millions de dollars par rapport au prix minimum fixé par l’Organisation non gouvernementale Médecins Sans Frontières. Lia Hasenclever a estimé à 35,3 millions de dollars américains le montant de la marge résultant de l’application d’une redevance de 5 pour cent sur cinq médicaments antirétroviraux au cours de la période 2001-2007. Merck produit actuellement deux médicaments antirétroviraux : l’efavirenz et l’indinavir. Bien que ces médicaments soient sur la liste du ministère de la Santé, ils ne figurent pas parmi les médicaments vendus au gouvernement. L’efavirenz, pour lequel le gouvernement brésilien a récemment accordé une licence obligatoire, est protégé par un brevet relevant du système de pipeline (la première demande a été déposée en 1992). Une version générique de ce médicament est aujourd’hui produite en Inde et importée au Brésil. Lorsque la demande de brevet a été déposée au Brésil, elle ne répondait plus à la condition de nouveauté exigée par la loi nationale, des informations sur l’invention ayant été publiées cinq ans auparavant. Si le brevet n’avait pas été accordé, ce composants actif aurait pu être produit au Brésil sous une forme générique, comme c’est le cas actuellement en Inde. Sans le système de pipeline, ces médicaments ne bénéficieraient d’aucune protection, même si le Brésil a commencé à délivrer des brevets dès 1997. D’autres médicaments essentiels dans la lutte contre l’épidémie de sida, notamment le lopinavir/ritonavir, l’abacavir,le nelfinavir et l’amprenavir, sont protégés par des brevets et ont été retirés du domaine public sans qu’une évaluation n’ait été effectuée de l’intérêt qu’ils sont susceptibles de présenter au niveau national. Un brevet a également été accordé au limatinib (vendu sous la marque Glivec), un médicament contre le cancer, et aux traitements contre l’hépatite B. Non seulement ce type de brevets contribue à l’augmentation des côuts de la santé, mais il entraine également d’autres problèmes dans la mesure où il n’encourage pas la production locale de médicaments, accroît les risques de pénurie de produits (comme cela a été le cas pour l’abacavir en 2007) et favorise la vente par les entreprises détentrices de brevets de produits de mauvaise qualité. Sans se prononcer sur l’issue de la demande présentée par les membres de la société civile, les laboratoires Merck ont souligné que le droit des brevets était un outil essentiel pour garantir l’innovation et favoriser, dans un pays, les investissements en matière de recherche. Articles de la loi brésilienne ( traduction non officielle) * Article 230 de la loi 9.279/96. Une demande de brevet portant sur des substances , matériaux ou produits obtenus par des moyens ou procédés chimiques, des susbtances, matériaux, mélanges ou produits alimentaires ou chimico-pharmaceutiques, des médicaments, quelle soit leur nature, et les processus permettant de les obtenir ou de les modifier peut être déposée par toute personne bénéficiant d’une protection en vertu d’un traité ou d’une convention en vigueur au Brésil, auquel cas la date de la demande initiale déposée à l’étranger est certaine, sous réserve que son objet n’ait pas été introduit sur un marché par une initiative directe de son détenteur ou par un tiers ni que des préparatifs effectifs et sérieux n’aient été entamés par des tiers afin d’exploiter l’objet de la demande au Brésil. (1) Le dépôt doit avoir lieu dans le délai d’un (1) an à compter de la publication de la présente loi. Il doit indiquer la date de dépôt de la demande initiale. (2) Les demandes de brevet déposées en vertu du présent article seront automatiquement publiées. Toute personne intéressée peut se prononcer sur leur conformité dans un délai de 90 (quatre-vingt-dix) jours suivant le dépôt. (3) Le brevet est accordé au Brésil dans les mêmes conditions que dans le pays d’origine si le demandeur satisfait aux conditions posées par les 10 et 18 de la présente loi et appporte la preuve de la délivrance du brevet dans le pays où la demande initiale a été déposée. (4) Les brevets délivrés en application du présent article bénéficient de la partie restante de la période de protection dont ils bénéficient dans le pays où la demande initiale a été déposée calculée à partir de la date de dépôt au Brésil et limitée à la période établie dans l’article 40, son alinéa unique ne s’appliquant pas. (5) Toute personne ayant déposé une demande pendante de brevet portant sur des substances , matériaux ou produits obtenus par des moyens ou procédés chimiques, des susbtances, matériaux, mélanges ou produits alimentaires ou chimico-pharmaceutiques, des médicaments, quelle que soit leur nature, et les processus permettant de les obtenir ou de les modifier , peut soumettre une nouvelle demande dans le délai et aux conditions établis dans le présent article, sur présentation de la preuve du retrait de la demande pendante. (6) Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux demandes de brevet déposées et approuvées en application du présent article. Article 231 de la loi 9.279/96. Les demandes de brevet relatifs aux domaines mentionnés dans l’article précédent peuvent être déposées par un ressortissant brésilien ou une personne domiciliée au Brésil, auquel cas la date de divulgation de l’invention est certaine, sous réserve que son objet n’ait pas été introduit sur un marché par une initiative directe de son détenteur ou par un tiers ni que des préparatifs effectifs et sérieux n’aient été entamés par des tiers afin d’exploiter l’objet de la demande au Brésil. (1) La demande de brevet doit être déposée dans le délai d’un (1) an à compter de la date de publication de la présente loi. (2) L’examen des demandes de brevet déposées en application du présent article sera effectué conformément à la loi. (3) Les brevets concédés en application du présent article bénéficient, à compter de la date de dépôt au Brésil, de la partie restante de la période de protection de vingt (20) ans dont ils bénéficient dans le pays où la demande initiale a été déposée calculée à partir de la date de divulgation de l’invention. (4) Toute personne ayant déposé une demande pendante de brevet relatif à l’un des domaines mentionnés dans l’article précédent, peut soumettre une nouvelle demande, dans le délai et aux conditions prévus dans le présent article, sur présentation de la preuve du retrait de la demande pendante. Share this:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window) Related "La justice s’interroge sur la constitutionnalité du système brésilien de pipeline" by Intellectual Property Watch is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License.