La Thaïlande présente un rapport sur son expérience des licences obligatoires 21/03/2007 by Tove Iren S. Gerhardsen for Intellectual Property Watch Leave a Comment Share this:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window)Par Tove Iren S. Gerhardsen Un représentant thaïlandais a déclaré que son Gouvernement recevait nettement plus d’appels depuis qu’il a émis des licences obligatoires pour importer et, à terme, produire des médicaments brevetés, contraignant les titulaires des brevets à baisser leurs prix. Dans le cadre d’une réunion le 8 mars dernier à Genève, les sceptiques ont maintenu que la Thaïlande aurait dû engager un dialogue avec les sociétés concernées avant de délivrer ces licences. Une licence obligatoire permet à un gouvernement de produire ou d’autoriser une tierce partie à produire l’objet d’un brevet sans le consentement du détenteur du droit ou sans s’être efforcé au préalable d’obtenir une autorisation du détenteur du droit et cela à certaines conditions, notamment en cas d’utilisation à des fins non commerciales, conformément à l’article 31 de l’Accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC). Selon la Déclaration sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique de la Conférence ministérielle de l’OMC à Doha (Qatar) en 2001, chaque État membre a la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées. À la réunion qui s’est tenue à Genève, Suwit Wibulpolprasert, Conseiller principal pour l’économie de la santé au ministère thaïlandais de la Santé publique, a présenté un rapport intitulé Facts and evidences on the 10 burning issues related to the government use of patents on three patented essential drugs in Thailand – Document to support strengthening of social wisdom on the issue of drug patent (faits et éléments de preuve sur les dix « questions cruciales » relatives à l’utilisation par les pouvoirs publics des brevets de trois médicaments essentiels brevetés en Thaïlande – document destiné à appuyer le renforcement de la sagesse sociale sur la question des brevets pharmaceutiques). Des représentants gouvernementaux, des groupes industriels et des organisations non gouvernementales (ONG), entre autres, ont assisté à la réunion organisée par l’ONG Knowledge Ecology International. Au cours des derniers mois, le Gouvernement thaïlandais a accordé trois licences obligatoires : le 26 janvier pour le clopidogrel (Plavis, produit par Sanofi-Aventis), utilisé dans le traitement de maladies cardiovasculaires, et pour la formulation lopinavir/ritonavir (Kaletra, produit par Abbott), utilisée dans le traitement contre le VIH/sida ; et le 29 novembre 2006 pour l’éfavirenz (Stocrin, produit par Merck Sharp & Dohme), un autre médicament contre le VIH/sida (voir IPW, Public Health, 16 février 2007 et 22 décembre 2006, en anglais seulement). M. Wibulpolprasert a déclaré que le Gouvernement thaïlandais avait évidemment tenté d’engager des discussions avec les sociétés concernées avant la délivrance des licences et que certaines avaient tendance à l’oublier aujourd’hui, ajoutant que les sociétés pharmaceutiques n’avaient accepté de s’asseoir à la table des négociations qu’après l’octroi des trois licences. Les participants à la réunion se sont généralement accordés sur le fait que la Thaïlande avait agi conformément à la loi, mais que les licences n’en étaient pas moins inattendues, notamment celle pour le médicament destiné au traitement de maladies cardiovasculaires. Eric Sayettat, de la Délégation permanente de la France à l’OMC, a fait valoir que le dialogue devait être favorisé et s’est demandé si le résultat (la réduction des prix) n’aurait pas été le même si des discussions avaient été engagées au préalable. Il a expliqué que les licences obligatoires pouvaient être comparées à la force nucléaire de dissuasion et ne devraient donc être utilisées que dans des situations exceptionnelles. D’autres représentants de pays développés étaient du même avis que M. Sayettat. Harvey Bale, Directeur général de la Fédération Internationale des associations de fabricants de produits pharmaceutiques (IFPMA) a estimé qu’il y avait une « sérieuse différence de perception » quant au processus, arguant qu’aucune discussion sérieuse n’avait été engagée au préalable entre le Gouvernement thaïlandais et les sociétés pharmaceutiques. Il a ajouté que Merck avait baissé ses prix sans qu’il ne soit nécessaire de recourir à la menace des licences obligatoires. M. Wibulpolprasert a rétorqué qu’il ne s’agissait aucunement d’une différence de perception et que le rapport en fournissait la preuve. Il a précisé que les négociations préalables avaient abouti à une impasse, rappelant qu’après la délivrance des licences obligatoires, les sociétés pharmaceutiques s’étaient même montrées disposées à engager des discussions avec le Gouvernement sur d’autres brevets que ceux concernés par les trois licences. Selon M. Wibulpolprasert, le prix d’un des médicaments était passé de 1,35 dollars (USD) à 60 cents par comprimé pour les hôpitaux et une autre société avait proposé un arrangement du type « dix pour le prix d’un » au Gouvernement. M. Wibulpolprasert a ajouté que Merck avait également offert une réduction globale des prix de son médicament, précisant que les discussions avec les sociétés après l’annonce de la délivrance des licences obligatoires avaient été très constructives. M. Bale a fait valoir que près de deux ans s’étaient écoulés entre le début du processus et l’annonce de l’octroi des licences par le Gouvernement et que, par conséquent, des nouvelles méthodes de production ou des changements économiques pouvaient expliquer la réduction des prix. Selon M. Wibulpolprasert, même si cela pouvait être le cas, il s’agirait là de facteurs « secondaires ». Pour dissiper les craintes de certains participants, M. Wibulpolprasert a déclaré que tout au plus 15 pour cent des médicaments brevetés en Thaïlande pourraient faire l’objet de licences obligatoires, puisque seuls des motifs sociaux solides justifient l’octroi de telles licences. « Nous n’en ferons pas une règle générale », a-t-il précisé, ajoutant que le Gouvernement « commençait » simplement à envisager d’autres médicaments et que les sociétés pouvaient « frapper à notre porte en tout temps ». Il a par ailleurs signalé que le mandat du comité spécial chargé de la négociation des prix des médicaments brevetés vient d’être reconduit par un arrêté ministériel datant de février. M. Wibulpolprasert a indiqué que les licences obligatoires n’entraveront pas le marché des produits brevetés dans la mesure où les médicaments concernés ne seront distribués qu’aux patients qui n’ont pas les moyens de se les procurer, notamment ceux dont le traitement est déjà couvert par le Gouvernement. Il a ajouté que les médicaments meilleur marché ne seraient pas exportés, précisant que la législation thaïlandaise reconnaît le droit de tout individu d’avoir accès à des médicaments essentiels. Le rapport, ou livre blanc, retrace l’historique de la décision d’accorder des licences obligatoires, qu’il présente comme un « mouvement social (…) dont l’objectif est d’améliorer l’accès aux médicaments essentiels et la santé de la population ». Il précise que ce mouvement exige des connaissances et des éléments de preuve, un soutien social et un engagement politique. Le rapport vise non seulement à répondre aux questions et aux malentendus, notamment quant à l’absence de discussions ou de négociations préalables avec les sociétés pharmaceutiques (l’une des dix « questions cruciales »), mais aussi à informer le public au sujet des médicaments et de la santé publique. Le rapport inclut des lettres et des communications des différentes parties prenantes, notamment des lettres du Gouvernement thaïlandais adressées aux sociétés pharmaceutiques ; des lettres des sociétés pharmaceutiques expliquant, avant la délivrance des licences obligatoires, les raisons pour lesquelles aucune réduction de prix n’était possible et proposant, après la délivrance des licences, une réduction des prix à certaines conditions ; des courriers échangés avec Susan Schwab, Représentante des États-Unis pour le commerce, et avec Margaret Chan, Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; ainsi que diverses lettres de soutien adressées au Gouvernement thaïlandais. Par ailleurs, le rapport présente les lois nationales et internationales pertinentes. Le rapport contient également un communiqué de presse de Merck datant du 14 février, dans lequel la société annonce la réduction des prix du Stocrin « dans les pays les moins avancés et les plus touchés par l’épidémie ». Le communiqué précise que la réduction des prix s’explique par les économies réalisées grâce au perfectionnement des procédés de production. Sangeeta Shashikant du Third World Network a fait observer que les licences obligatoires sont utilisées « très fréquemment » dans les pays développés, reprenant des exemples cités dans le rapport thaïlandais, notamment aux États-Unis et en Europe. Guilherme Patriota, représentant officiel du Brésil, a rappelé que les licences obligatoires sont des mécanismes légaux qui ont été consentis dans le cadre de l’Accord sur les ADPIC en échange de l’introduction des brevets pharmaceutiques, un régime de protection qui a été instauré dans de nombreux pays par le biais de cet Accord. Le représentant brésilien a fait valoir que les réactions devraient donc être plus « réalistes» et qu’il était inadmissible que les pays qui émettent de telles licences soient « marginalisés ». En se référant à l’Accord sur les ADPIC, il a souligné que les licences obligatoires étaient « inhérentes » au système et qu’elles ne sauraient entraver ce système « puisqu’elles en font partie ». Fernando Antezana Araníbar, représentant bolivien et actuel président du Conseil exécutif de l’OMS, a souligné que la Thaïlande n’était pas tenue de publier un tel rapport et a salué la « transparence » et le « courage » dont elle a fait preuve en le faisant. David Vivas du Centre international pour le commerce et le développement durable (ICTSD) a également salué les efforts de transparence de la Thaïlande. Il a en outre suggéré de mener une étude internationale qui rassemble les données relatives aux licences obligatoires liées à la santé. Les groupes industriels et d’autres participants se sont ralliés à cette idée. Tove Gerhardsen peut être contactée par courrier électronique à l’adresse info@ip-watch.ch. Share this:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window) Related "La Thaïlande présente un rapport sur son expérience des licences obligatoires" by Intellectual Property Watch is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License.