Le rapport de l’OMS sur la propriété intellectuelle pourrait influencer le débat sur un système de brevet mondial 13/04/2006 by William New, Intellectual Property Watch Leave a Comment Share this:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window)Tove Iren S. Gerhardsen et William New Un rapport très attendu de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), réalisé par une commission spéciale chargée d’étudier les liens entre les droits de propriété intellectuelle et les activités de recherche et développement (R&D) en rapport avec les maladies qui touchent avant tout les pays en développement, formule quelque 50 recommandations destinées à améliorer la situation actuelle. Dans son rapport de 239 pages, la Commission sur les droits de propriété intellectuelle, l’innovation et la santé publique (CIPIH) s’abstient de dénoncer les systèmes de brevet existants en matière de médicaments et met l’accent sur les mesures à mettre en œuvre à l’échelon national, ainsi que sur la nécessité de nouer de nouveaux partenariats et de mobiliser davantage de fonds. En outre, elle enjoint aux firmes de prendre leurs responsabilités et suggère que l’OMS joue un rôle plus actif en matière de coordination. Elle préconise enfin une étude plus approfondie des différentes manières d’envisager le système actuel de R&D, notamment par la mise en place d’un cadre mondial pour la R&D, et recommande la prudence aux pays qui négocient des accords bilatéraux de libre-échange. Le rapport précise que dans les pays en développement à faible revenu, les firmes « devraient éviter de déposer des brevets ou de les faire appliquer d’une manière susceptible d’entraver l’accès ». Il les encourage également à accorder des licences volontaires dans ces pays. Mme Ruth Dreifuss, présidente de la Commission et ex-présidente de la Confédération suisse, a déclaré à Intellectual Property Watch que ce rapport n’était pas « un livre de recettes » pour résoudre les problèmes existants. Dans un entretien téléphonique le 30 mars dernier, elle a précisé qu’il s’agissait d’une « analyse globale mais prudente ». La présidente de la Commission a expliqué que, dans l’ensemble, le rapport débouchait sur la conclusion que les brevets ne constituent pas une barrière majeure à l’innovation et à l’accès aux produits. Elle a ajouté qu’il ne proposait pas de modifier les normes de brevetabilité, mais plutôt de trouver d’autres moyens de stimuler la R&D. Le rapport de la CIPIH a été publié plus tard que prévu, sur fond de divergences entre les dix membres de la Commission, qui s’étaient engagés à agir en toute indépendance et à ne pas dévoiler le contenu du rapport de la Commission. Dans cet entretien téléphonique, Mme Dreifuss a reconnu avoir « eu l’occasion de » rappeler aux membres qu’ils étaient tenus de rester indépendants. Un consensus qui s’accompagne de réserves Malgré le caractère consensuel du rapport, cinq membres de la Commission sur dix ont formulé des réserves en annexe, marquant ainsi leur désaccord avec plusieurs points du rapport. Il s’avère que trois réserves présentent des arguments très proches de ceux de l’industrie dans ce débat. Mme Dreifuss a déclaré que l’« ensemble des membres de la Commission ont approuvé ce rapport » et qu’il était « tout à fait fréquent » de publier des réserves. Dans la réserve qu’ils ont rédigée conjointement, M. Carlos Correa, professeur à l’Université de Buenos Aires et M. Pakdee Pothisiri, adjoint principal du Secrétaire permanent à la santé du Gouvernement thaïlandais, déplorent que le rapport n’examine pas « suffisamment, les profondes distorsions qu’on observe actuellement dans le fonctionnement du système des brevets » qui, selon eux, profitent aux industries pharmaceutiques, mais entravent l’accès aux produits génériques. Ils font également observer qu’en s’attachant à couvrir un large éventail de questions allant de la découverte à la diffusion des produits, le rapport dépasse la portée du mandat de la Commission. M. Trevor Jones, directeur de la Recherche et du Développement à la Wellcome Foundation Limited, conteste le lien direct que le rapport laisserait supposer entre l’existence de brevets, le prix des produits et l’accès aux produits dans les pays en développement. M. Jones fait observer que les prix ne sont pas établis sur la base des brevets et que ce ne sont pas les brevets qui entravent l’accès, mais la pauvreté et l’absence d’infrastructures suffisantes. M. Fabio Pammolli, professeur à l’Université de Florence, soutient les propos de M. Jones s’agissant des prix, arguant que l’existence de brevets n’empêche pas les produits brevetés d’être soumis à des systèmes d’achats ou à des contrôles des prix. M. Hiroko Yamane, professeur au Graduate Institute for Policy Studies à Tokyo, fait valoir que le rapport aurait dû « contenir davantage d’analyses fondées sur des bases factuelles concernant les différentes options de politique des brevets pour les pays en développement ». Recommandations intersectorielles Le rapport de la Commission s’adresse à un large éventail d’acteurs, notamment les gouvernements des pays développés et en développement, les firmes pharmaceutiques et biotechnologiques, les donateurs, les partenariats public-privé, les groupes de patients et de la société civile, ainsi que diverses organisations internationales. Si le rapport établit que les gouvernements des pays développés devraient adopter des mesures pour accroître les financements et la R&D en rapport avec les maladies qui touchent avant tout les pays en développement, il enjoint aux pays en développement de stimuler la R&D et d’améliorer les infrastructures nécessaires. Il demande par ailleurs aux firmes d’adopter des politiques de prix plus transparentes, tout en insistant sur le fait que « l’accès aux médicaments ne peut dépendre des seules décisions des firmes privées mais est aussi de la responsabilité des pouvoirs publics ». Mme Dreifuss a précisé que ce rapport était avant tout destiné à l’OMS, puisqu’un projet de résolution sur l’établissement d’un cadre mondial pour les activités de R&D a été soumis à l’Assemblée mondiale de la santé qui se tiendra en mai prochain. Selon la présidente de la Commission, une nouvelle résolution pourrait être formulée sur la base du rapport de la Commission ou pourrait être intégrée au projet de résolution existant, proposé par le Kenya et le Brésil. Le rapport fait mention de l’adoption d’une éventuelle résolution sur la R&D, mais souligne que « les partisans du projet de traité sur la R&D médicale devraient poursuivre leurs travaux pour approfondir cette idée de manière que les gouvernements et les décideurs puissent se prononcer en connaissance de cause ». Mme Dreifuss a par ailleurs expliqué que, dans l’ensemble, le rapport demande instamment à l’OMS de jouer un rôle actif dans l’établissement de nouveaux mécanismes pour stimuler la mise au point de médicaments et faciliter l’accès aux médicaments dans les pays en développement. Le rapport définit un certain nombre de domaines dans lesquels l’OMS pourrait jouer un rôle plus actif s’agissant des questions de propriété intellectuelle, notamment en collaboration avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), par exemple dans la promotion de communautés de brevets sur des technologies en amont, ou dans l’établissement d’une base de données sur les brevets. Le rapport suggère également que l’OMS contribue à renforcer les essais cliniques et l’infrastructure de réglementation dans les pays en développement et à rassembler des partenaires au sein d’un « forum permanent » destiné à garantir un effort de recherche mieux coordonné. Renforcer le rôle de l’OMS s’agissant des ADPIC et des accords de libre-échange Le rapport de la Commission contient également des recommandations quant à la mise en œuvre de l’Accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) et à des questions telles que l’exclusivité des données dans les accords de libre-échange, une clause que les États-Unis négocient dans le cadre de leurs accords bilatéraux avec d’autres pays. À cet égard, le rapport appuie la déclaration formulée à la Conférence ministérielle de l’OMC à Doha (Qatar) en 2001, qui confirme le droit pour les pays d’utiliser pleinement les flexibilités ménagées dans l’Accord sur les ADPIC. Selon Mme Dreifuss, l’OMS devrait aider les pays à mettre en œuvre l’Accord sur les ADPIC. Le rapport fait référence à plusieurs reprises aux flexibilités prévues par l’Accord, notamment à l’octroi de licences obligatoires. Il précise par exemple que « les pays devraient prévoir dans leur législation le pouvoir de recourir aux licences obligatoires, conformément à l’Accord sur les ADPIC ». Le rapport mentionne également une dérogation adoptée en août 2003 par l’OMC et finalement remplacée par un amendement permanent à l’Accord sur les ADPIC en décembre 2005. Selon cette dérogation, les pays ne disposant pas d’une capacité de production suffisante sont autorisés à importer des médicaments produits dans le cadre d’une licence obligatoire. Le rapport établit toutefois que la dérogation adoptée en 2003 par l’OMC « n’a encore été utilisée par aucun pays importateur » et suggère donc que « son efficacité doit être périodiquement examinée et des changements appropriés doivent être envisagés pour parvenir à une solution pratique, si nécessaire ». Par ailleurs, le rapport de la Commission recommande que des experts des ministères de la Santé prennent part aux négociations commerciales bilatérales. Il met en garde contre les clauses ADPIC-plus que les pays sont amenés à adopter dans le cadre de négociations bilatérales. Il précise que « l’adoption de règles de protection des données allant au-delà de ce qui est exigé par l’Accord sur les ADPIC devrait être justifiée au regard de la santé publique », ajoutant que « les pays en développement ne devraient pas imposer de restrictions à l’utilisation de ces données ou à la possibilité de s’appuyer sur elles d’une manière faisant obstacle à une concurrence loyale ou empêchant de recourir aux flexibilités ménagées par l’Accord sur les ADPIC ». Le rapport indique explicitement que les accords commerciaux bilatéraux ne devraient pas chercher à imposer des protections ADPIC-plus susceptibles de réduire l’accès aux médicaments. Dans le cadre d’une conférence de presse le 3 avril dernier, Mme Dreifuss a déclaré que la commission avait engagé une « longue discussion » sur la question de l’exclusivité des données. Selon ses propos, la Commission estime que l’entrée sur le marché des produits génériques à l’expiration des brevets ne devrait pas être entravée. Mme Dreifuss a également souligné que le rapport recommande à l’OMS de jouer un rôle actif dans l’établissement d’un « plan d’action mondial » en matière d’accès. Selon le rapport, l’objectif de ce plan serait de « mobiliser un financement accru et durable en faveur de l’innovation et de l’accès aux produits pour traiter les maladies qui touchent de façon disproportionnée les pays en développement ». Néanmoins, M. Lee Jong-wook, directeur général de l’OMS, a précisé à la conférence de presse qu’un tel plan ne se matérialiserait pas sous la forme d’un nouveau fonds ou d’une initiative telle que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Réactions mitigées des ONG et de l’industrie M. Sisule Musungu, coordinateur par intérim du Programme sur l’innovation, l’accès aux connaissances et la propriété intellectuelle à l’organisation intergouvernementale Centre Sud, a proposé que le rapport soit évalué en fonction du mandat de la Commission, ajoutant qu’il doutait que ce rapport contribue à faire avancer les responsables politiques s’agissant des problèmes évoqués. Mme Ellen ‘t Hoen, membre de l’organisation Médecins Sans Frontières, a reconnu que le rapport proposait une analyse approfondie, mais elle a déploré la faiblesse de ses recommandations, résultant selon elle des différents points de vue politiques qui divisent les membres de la Commission. Elle a néanmoins accueilli avec satisfaction les conclusions du rapport s’agissant des accords commerciaux bilatéraux et de l’Accord sur les ADPIC, notamment le constat selon lequel rien n’indique que la mise en œuvre de l’Accord sur les ADPIC a sensiblement encouragé la R&D : si les dépenses de l’industrie pharmaceutique ont augmenté, le nombre d’inventions a en revanche diminué. Mme Ellen ‘t Hoen a également souligné le fait que le rapport intègre la question de la « distribution » dans les problèmes d’accessibilité, reconnaissant ainsi que les nouveaux produits sont inutiles s’ils ne peuvent pas être mis à la disposition de ceux qui en ont besoin. Enfin, Mme ‘t Hoen a relevé que le rapport appuyait la résolution proposée à l’OMS par le Kenya et le Brésil. M. James Love, directeur du Consumer Project on Technology, s’est également montré satisfait de cette référence à la résolution sur la R&D. M. Love a par ailleurs déclaré que la Commission, aussi importante soit-elle, avait « réussi à se contenter du minimum » pour faire face aux problèmes existants et qu’elle « n’aura été qu’une occasion manquée – une réelle déception pour de nombreuses personnes ». M. Harvey Bale, directeur général de la Fédération internationale de l’industrie du médicament (FIIM), a qualifié le rapport de travail « louable », tout en déplorant le contenu de nombreuses recommandations, notamment celle qui prévoit que l’OMS joue un rôle actif dans la gestion de questions relatives à la propriété intellectuelle et au commerce. « Le rapport aura de nombreuses conséquences inattendues », a déclaré M. Bale dans le cadre de la conférence de presse organisée le 3 avril dernier. « C’est une feuille de route pour la santé, mais c’est aussi une feuille de route vers une véritable catastrophe », a-t-il conclu. M. Bale a fait valoir que le rapport « prend un peu trop à la légère » les propositions relatives à la conclusion de traités sur la R&D médicale saluées par M. Love et Mme ‘t Hoen, et prédit que ces dispositions pourraient être adoptées par l’OMS. Il a en outre porté un coup dur à la décision de l’OMS de financer ce rapport : « Combien d’enfants auraient pu être vaccinés grâce aux fonds déboursés pour analyser des questions de propriété intellectuelle ? Où sont donc les priorités ? Une organisation œuvrant dans le domaine de la santé est-elle censée mettre l’accent sur des questions de propriété intellectuelle ? » L’automne dernier, la fonction « suivi des modifications » du logiciel Microsoft Word a fait apparaître, dans une version du rapport distribuée aux dix membres de la Commission, des commentaires insérés par un employé du bureau de M. Bale à Genève, alors que le contenu du rapport devait rester confidentiel. Interrogé par Intellectual Property Watch sur ces « irrégularités », M. Bale a répondu que les membres de la Commission étaient invités à consulter l’avis de spécialistes et que la FIIM offrait ce genre de conseils. Le groupe a soutenu qu’aucune irrégularité n’avait été commise. M. Bale a salué la recommandation du rapport de redoubler d’efforts pour intensifier la promotion des activités de R&D en rapport avec les maladies dites « négligées » qui touchent principalement les pays en développement, réduire les droits de douanes et taxes sur les médicaments, harmoniser davantage les normes réglementaires afin de garantir la qualité des médicaments, lutter contre la contrefaçon des médicaments et mettre un frein à l’émigration des professionnels de la santé des pays en développement dans les pays développés. M. Philip Stevens, responsable du programme sanitaire de l’International Policy Network, notamment financé par l’industrie pharmaceutique, s’est fait l’écho des critiques de M. Bale. « Soyons francs, a déclaré M. Stevens, même si les médicaments étaient gratuits, les populations qui en ont besoin n’y auraient toujours pas accès ». Il a fait référence à un rapport, élaboré par son organisation, qui contredit les conclusions de la Commission en montrant « de quelle manière les pays en développement érigent des barrières inutiles – notamment des taxes – qui empêchent les populations démunies d’avoir accès aux médicaments dont elles ont besoin ». M. Stevens a souligné que le rapport présente les diverses failles des systèmes de santé des pays en développement, failles qui, selon lui, jouent un rôle décisif dans le fait que « l’accès aux médicaments est si restreint dans de nombreux pays ». Il a par ailleurs émis des critiques à l’encontre de la recommandation du rapport de permettre le recours à des licences obligatoires dans les pays pauvres. M. Bale a indiqué que six groupes régionaux de l’OMS pourraient se réunir le 28 avril prochain, en présence de certains représentants gouvernementaux. 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