Innovation et accès : fission ou fusion ? Entretien avec David Taylor, Professeur en Politique Pharmaceutique et de Santé Publique à l’UCL (University College London) 30/05/2016 by Guest contributor for Intellectual Property Watch Leave a Comment Share this Story:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window) IP-Watch is a non-profit independent news service and depends on subscriptions. To access all of our content, please subscribe here. You may also offer additional support with your subscription, or donate. The views expressed in this article are solely those of the authors and are not associated with Intellectual Property Watch. IP-Watch expressly disclaims and refuses any responsibility or liability for the content, style or form of any posts made to this forum, which remain solely the responsibility of their authors. Dans le sillage du Groupe de Haut Niveau des Nations Unies sur l’accès aux médicaments (UN High-Level Panel on Access to Medicines) cette série d’articles sponsorisés convie des experts à donner leur point de vue sur les politiques les mieux à même de favoriser l’élaboration de solutions aux plus importants enjeux sociétaux, ainsi que sur la manière dont un cadre réglementaire favorable – y compris les systèmes de protection de la propriété intellectuelle – influence le développement et la diffusion de nouvelles technologies et de nouveaux services au sein de différents secteurs, domaines technologiques et juridictions. Les opinions exprimées dans ces articles n’engagent que leurs auteurs. Evolution of the light bulb – from Thomas Edison to energy saving bulb. Image Source/Getty Images Un système mondial de protection de la propriété intellectuelle est-il nécessaire, et si oui, pourquoi et sous quelle forme ? D. TAYLOR : Avant d’instaurer de nouvelles réformes, un débat rigoureux, bien informé et intellectuellement solide est indispensable afin de définir – à l’échelle mondiale – l’intérêt de la protection intellectuelle pour le public, et comment protéger au mieux ce dernier dans les environnements pauvres comme dans les milieux plus favorisés. Sinon, on risque de faire plus de mal que de bien. Il faut reconnaître tant les droits de propriété intellectuelle que les droits individuels et collectifs à des soins de santé vitaux, et non les mettre cyniquement en concurrence. L’accès aux médicaments essentiels doit être amélioré dans de nombreuses régions du monde. Mais cela ne se fera pas simplement en réduisant les droits de propriété intellectuelle dont bénéficient ceux qui développent des médicaments et des vaccins plus efficaces. Il est indispensable de reconnaître que le système actuel de financement de la recherche bénéficie grandement à chaque habitant de la planète à moyen et long terme. Il faut reconnaître tant les droits de propriété intellectuelle que les droits individuels et collectifs à des soins de santé vitaux, et non les mettre cyniquement en concurrence. Le public mondial pourrait bénéficier d’une approche plus cohérente de l’élaboration et de l’application de la législation en matière de propriété intellectuelle, ce qui ne veut pas dire pour autant que ces lois devraient être les mêmes dans tous les contextes. Les flexibilités instituées par l’accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle touchant au Commerce (ADPIC) de l’Organisation Mondiale du Commerce (incluant des dispositions relatives à l’octroi de licences obligatoires, des restrictions sur la protection des données et diverses exceptions à la brevetabilité) fournissent déjà des exemples de la manière dont les gouvernements et autres instances peuvent répondre aux problèmes liés à l’accessibilité des médicaments grâce à un cadre légal servant à assurer un financement pérenne des innovations biopharmaceutiques et médicales. Selon vous, la propriété intellectuelle constitue-t-elle un obstacle à l’accès aux médicaments ? TAYLOR : L’an dernier, les Nations Unies ont créé un Groupe de Haut Niveau visant à « examiner et évaluer les propositions et à recommander des solutions pour remédier aux incohérences des politiques entre les droits des inventeurs, la législation internationale sur les droits de l’homme, les règles commerciales et la santé publique dans le contexte de l’accès aux nouvelles technologies en matière de santé ». J’attends avec beaucoup d’intérêt les recommandations de ce Groupe et j’aimerais beaucoup les commenter après leur publication. Pour le moment, tandis que l’humanité continue de se développer, je pense que cela vaut la peine de souligner toute l’utilité des pressions grandissantes qui visent à ce que tout un chacun sur terre ait accès dès le début aux nouvelles technologies qui sauvent et améliorent grandement la vie, ainsi qu’aux services professionnels et connexes permettant de les utiliser efficacement. Le prochain grand défi se situera probablement au niveau du traitement du cancer; bien qu’à l’heure actuelle, même les traitements classiques des maladies contagieuses tombés dans le domaine public ne soient toujours pas fournis de manière adéquate dans de nombreuses communautés pauvres. Je crois aussi que les moyens recherchés pour assurer un système de soins universel abordable ne doivent pas risquer de nuire à la poursuite du financement de nouveaux progrès thérapeutiques – nous avons besoin de solutions non pas statiques, mais dynamiques. les moyens recherchés pour assurer un système de soins universel abordable ne doivent pas risquer de nuire à la poursuite du financement de nouveaux progrès thérapeutiques – nous avons besoin de solutions non pas statiques, mais dynamiques. Les droits de propriété intellectuelle font partie intégrante du financement de la recherche du secteur privé, même si d’autres financements peuvent également se révéler vitaux pour encourager et financer certaines formes d’activités ciblées – l’accélération du développement d’antibiotiques par exemple. Là où l’inégalité des ressources signifie que les individus et les communautés pauvres n’ont pas accès aux nouvelles technologies de soins pouvant être définies comme essentiels, nous devons trouver des mécanismes nationaux et internationaux pour financer les soins universels sans couper les sources de revenus permettant de poursuivre l’innovation dans le public comme dans le privé. En ce qui concerne la fourniture de traitements et de nouveaux vaccins contre le VIH, par exemple, la communauté internationale a désormais trouvé plusieurs manières de préserver des vies sans nuire à la poursuite de l’innovation. Par le passé, les entreprises détentrices de droits de propriété intellectuelle ont été lentes à passer à l’action face à l’émergence de la pandémie du VIH et des tragédies humaines qui l’accompagnent, mais les gouvernements et de nombreuses autres instances publiques et privées l’ont été tout autant. la fourniture de traitements et de nouveaux vaccins contre le VIH, par exemple, la communauté internationale a désormais trouvé plusieurs manières de préserver des vies sans nuire à la poursuite de l’innovation. Il n’existe pas de solution miracle pour éviter de futurs problèmes, mais nous sommes désormais mieux équipés pour les anticiper. De récents exemples dans le domaine du traitement de l’hépatite C en témoignent, même si l’utilisation de produits appropriés est à ce jour loin d’être optimale dans le monde. Le vaccin contre le papillomavirus (HPV), encore sous-utilisé, constitue un autre exemple d’un domaine où l’on a fait beaucoup de progrès, mais où il en reste encore bien plus à faire. Quels sont selon vous les principaux obstacles entravant l’accès à des médicaments génériques reconnus dans les régions les plus pauvres du monde ? TAYLOR : Le grand avantage que présentent la plupart des nouveaux traitements pharmaceutiques, sinon tous, est qu’une fois que les droits de propriété intellectuelle requis pour alimenter la poursuite des programmes de recherche et développement sont venus à expiration, ces traitements peuvent, et devraient, devenir disponibles à un prix moins élevé. Par définition, les médicaments génériques ne font pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, à l’exception des produits vendus sous une marque. Toutefois, même dans des pays aussi avancés que l’Inde, les individus et communautés moins favorisés n’ont pas forcément accès à des médicaments génériques modernes qui soient fiables et abordables. même dans des pays aussi avancés que l’Inde, les individus et communautés moins favorisés n’ont pas forcément accès à des médicaments génériques modernes qui soient fiables et abordables. Les raisons peuvent aller de l’incapacité ou du refus des fabricants locaux de proposer des produits à très faible marge, jusqu’à un financement insuffisant et/ou une gestion inadéquate des systèmes de santé. Il convient aussi de noter que dans les pays très pauvres, les médicaments novateurs peuvent ne jamais faire l’objet d’aucun brevet : la population étant si pauvre que leur fourniture, et même celle de médicaments génériques, est exclue quel que soit leur prix ou presque. Cela signifie que, de par le monde, un milliard de personnes ou plus doivent toujours se passer de traitements potentiellement abordables pour des problèmes courants tels que l’hypertension et d’autres troubles cardiovasculaires, ainsi que de nombreuses maladies infectieuses. Ces dernières sont aujourd’hui encore responsables de plus d’un tiers des décès dans de nombreuses communautés peu développées. Il s’agit là d’un problème que le Groupe de Haut Niveau des Nations Unies n’a pas été chargé d’étudier. Réduire ou supprimer les brevets et les formes connexes de protection de la propriété intellectuelle pour les nouveaux médicaments (dont seulement une partie peut, selon la définition de l’OMS, être considérée comme des médicaments essentiels) n’aiderait pas à résoudre le non-approvisionnement en médicaments génériques de faible prix. Cela pourrait même empêcher de réfléchir à des approches véritablement efficaces pour fournir les meilleurs soins possibles. Assurer un meilleur approvisionnement en médicaments de base exige d’investir davantage dans la mise à disposition de soins de santé primaires, qui présentent un rapport efficacité-coût optimal et qui offrent des traitements sans marque d’un coût minimal en lesquels les patients peuvent avoir confiance. Cela est possible partout où la volonté politique nécessaire existe, mais un tel engagement fait encore défaut. Assurer un meilleur approvisionnement en médicaments de base exige d’investir davantage dans la mise à disposition de soins de santé primaires, qui présentent un rapport efficacité-coût optimal et qui offrent des traitements sans marque d’un coût minimal en lesquels les patients peuvent avoir confiance. Cela est possible partout où la volonté politique nécessaire existe, mais un tel engagement fait encore défaut. Pourriez-vous nous expliquer comment est fixé le prix des nouveaux médicaments et vaccins, et pourquoi on considère généralement que ce processus manque de transparence ? TAYLOR : Sur les marchés « presque parfaits » de produits de base, comme le blé par exemple, les prix sont fixés – sous réserve de respecter les réglementations et certains critères de qualité – en fonction de l’offre et de la demande. Quand il n’y en a pas assez les prix montent, et ils baissent quand il y en a trop. La rareté définit la « valeur ». Ainsi l’eau est d’ordinaire bon marché tandis que l’or – que la plupart des gens jugeraient pourtant intrinsèquement moins utile ou moins vital – coûte cher. Mais les produits comme les nouveaux médicaments et vaccins ne sont pas vendus sur des marchés simples. Souvent, des monopoles temporaires se retrouvent face à de grands acheteurs monopsones (généralement financés par l’impôt ou les assurances). Ce genre de situation a toutes les chances de créer des conflits concernant la tarification et les questions connexes. Les fournisseurs de soins, dont les budgets sont fixes, peuvent très bien avancer que la recherche de nouveaux médicaments revient trop cher, tandis que le public pourrait ne pas bénéficier d’un développement industriel et d’une innovation thérapeutique durables si l’on impose des prix et des marges trop faibles. La volonté de payer des études et/ou des recherches basées sur le coût par année de vie pondérée par la qualité (QALY[1]) peut aider les décideurs des entreprises et des instances de réglementation à déterminer des prix correspondant à un juste milieu entre les attentes du patient en matière d’innovation au niveau des produit et des services, et le désir d’une accessibilité optimale. Il existe cependant de nombreuses incertitudes et il n’y a pas une seule et unique « bonne » approche théorique ; de plus, un prix acceptable et abordable pour, disons l’Allemagne, peut très bien largement dépasser les possibilités dans un pays moins riche. Le fait que les coûts marginaux de la production de médicaments soient généralement faibles par rapport aux coûts fixes de leur développement peut rendre cette question difficile à comprendre. Comme pour les taxes intérieures et les salaires des travailleurs étrangers, il peut souvent être très impopulaire d’avancer que le prix de n’importe quel bien ou service de santé devrait être supérieur au niveau minimal possible. Mais dans le cas de produits tels que des médicaments novateurs, l’investissement en capital-risque pour assurer l’avenir dépend, pour une grande part, des profits réalisés dans le présent. Dans les nations riches, il est faux de dire que les médicaments ne seraient pas abordables à l’échelle communautaire, si les politiques et autres décideurs en avaient le désir. Par exemple, malgré toute la controverse autour des dépenses concernant les médicaments contre le cancer et les espoirs d’obtenir de meilleurs résultats au cours des dix prochaines années, aucune nation de l’OCDE ne dépense plus de 0,2 % de son PIB tous médicaments anticancéreux confondus. Le secteur pharmaceutique est l’une des industries les plus lourdement réglementées et surveillées dans le monde. Même ainsi, en raison de la grande complexité et des peurs impliquées, la tarification des médicaments et des vaccins peut toujours sembler non transparente et injuste aux observateurs non spécialisés. Toutefois, il vaut la peine de souligner une fois encore que les médicaments protégés par des droits de propriété intellectuelle ne sont pas de l’or. Leur valeur et leur tarification ne se fondent pas sur une quelconque pénurie inévitable, mais plutôt sur leur substance intellectuelle et sur la « valeur » de recherches abouties – auxquelles s’ajoutent les avantages à long terme pour l’humanité, résultant du fait d’avoir encouragé les investisseurs à continuer d’oser le capital-risque dans des programmes de recherches biopharmaceutiques présentant chacun un important risque d’échec. Les médicaments et les vaccins, qu’ils soient nouveaux ou bien établis, devraient-ils être moins chers dans les pays pauvres que dans les pays riches ? Pouvons-nous espérer que les pays riches continueront de subventionner le développement de traitements innovants pour les nations aux revenus faibles et moyens ? TAYLOR : Je ne suis pas d’accord avec la manière dont le mot « subventionner » est utilisé dans cette question – cela risque de banaliser et déformer un point très important. Certains disent aussi que les gouvernements du monde riche « subventionnent » la recherche pharmaceutique en donnant de l’argent pour la recherche fondamentale menée dans des organismes comme les universités. Cette vision est elle aussi, selon moi, une interprétation erronée et potentiellement destructrice du concept de subventionnement. Le concept de la tarification Ramsey (dont la logique est fondée sur les bénéfices collectifs provenant des consommateurs riches qui paient davantage pour de nombreux types de biens) doit être accepté par toutes les parties du débat sur l’amélioration de l’accès mondial aux médicaments. Le fait est que, dans les nations de l’OCDE, une fois développés et homologués, la plupart des nouveaux médicaments et vaccins peuvent normalement être produits avec un coût marginal relativement faible par rapport à ce qui est nécessaire pour poursuivre l’innovation. Bien que cela puisse être difficile à comprendre pour un non-économiste, cela signifie que si l’on ne fournit pas aux pauvres les traitements essentiels à un prix relativement faible, cela ne fera que réduire le revenu total acquis, sans aucune économie réelle pour les communautés mieux nanties qui continuent de désirer de nouveaux traitements. une fois développés et homologués, la plupart des nouveaux médicaments et vaccins peuvent normalement être produits avec un coût marginal relativement faible par rapport à ce qui est nécessaire pour poursuivre l’innovation. Cela dit, il existe toute une variété de dangers et préoccupations légitimes à résoudre. Il serait de toute évidence inacceptable, par exemple, que des médicaments de faible coût destinés à des communautés pauvres soient introduits dans des zones plus favorisées d’une façon qui nuirait à la recherche et à l’emploi dans des régions comme l’Europe. Que dans les pays pauvres, la population plus riche (jouissant de revenus aussi importants ou plus élevés que la moyenne en Amérique du Nord) bénéficie de médicaments à prix faible tandis que les pauvres qui dépendent des services publics ne reçoivent pas de traitement, constituerait également une dérive inadmissible. En ce qui concerne les États-Unis, il existe aussi le risque que les Américains contribuent de manière excessive aux coûts mondiaux de R&D dans le biomédical par rapport aux habitants de pays comme le Royaume-Uni. On pourrait alors croire que ce dernier a adopté des réglementations destinées in fine à réduire injustement sa participation aux coûts de recherche et développement. Les groupes pharmaceutiques ont désavoué Turing Pharmaceuticals pour avoir fait flamber le prix d’un médicament vieux de 60 ans, le Daraprim. Qu’en pensez-vous, et qu’est-ce qui rend ce cas exceptionnel ? TAYLOR : Contrairement à un préjugé très populaire, le total des dépenses concernant les médicaments est resté, en pourcentage des investissements mondiaux pour la santé, relativement stable durant les dernières décennies – de l’ordre de 15 % – bien que les chiffres varient d’un pays à l’autre. Les droits de propriété intellectuelle du secteur pharmaceutique étant généralement limités à une certaine période (de 10 à 15 ans), les innovations qui au départ revenaient cher deviennent rapidement – contrairement à la main d’œuvre – relativement bon marché. Je ne conteste pas que les coûts des médicaments puissent imposer des contraintes sur les budgets de santé, ou qu’il puisse exister des pratiques tarifaires abusives, mais il est important de souligner que les coûts pharmaceutiques ne constituent pas le moteur principal de la hausse des dépenses de santé. Contrairement à un préjugé très populaire, le total des dépenses concernant les médicaments est resté, en pourcentage des investissements mondiaux pour la santé, relativement stable durant les dernières décennies – de l’ordre de 15 % La récente levée de boucliers suscitée par le coût de la pyriméthamine (Daraprim) aux États-Unis est liée à des exigences de la réglementation américaine qui ne s’appliquent pas ailleurs dans le monde. En effet, certains médicaments mis sur le marché américain avant 1962 ont joui d’une clause d’antériorité après l’instauration d’une législation qui exigeait de renforcer les tests de sécurité. Leur vente est restée autorisée, mais tout générique doit désormais être soumis aux mêmes essais que les nouveaux médicaments avant de pouvoir concurrencer la marque d’origine. La récente levée de boucliers suscitée par le coût de la pyriméthamine (Daraprim) aux États-Unis est liée à des exigences de la réglementation américaine qui ne s’appliquent pas ailleurs dans le monde. Cette anomalie historique a eu pour effet de conférer à certains produits une protection légale perpétuelle aux États-Unis. Turing Pharmaceuticals a détecté cette faille juridique, et acheté les droits de commercialisation du Daraprim (qui peut aujourd’hui bénéficier à certains patients atteints du VIH) aux États-Unis en vue d’en augmenter le prix à 750 dollars par comprimé. En revanche, la société britannique Glaxo vend toujours la pyriméthamine à environ 13 livres les 30 comprimés. Et ce médicament est encore moins cher dans des pays comme l’Inde et le Brésil. Cette affaire témoigne qu’il existe des exemples de mauvaises pratiques. Mais (comme d’autres affaires, différentes mais à certains égards parallèles, concernant l’accès au traitement du VIH dans les années 1990) les exceptions, par définition, ne reflètent pas la norme. La plupart du temps les forces du marché sont suffisantes pour garantir que le prix des médicaments tombés dans le domaine public reste proche du coût du produit. Trouvez-vous que les déclarations de l’industrie biopharmaceutique actuelle soient crédibles lorsqu’elle affirme soutenir un bon accès universel aux médicaments, alors que ses décisions concernant la R&D et les zones où fournir des médicaments dépendent de l’importance du marché et non des besoins de santé mondiaux ? TAYLOR : Malgré certains problèmes persistants touchant le leadership et l’engagement envers le public, ainsi que la valeur pour les actionnaires, je pense que l’industrie mondiale de la recherche pharmaceutique a progressé positivement depuis le début de ce siècle. Je connais des conseils d’administration et de nombreux individus qui s’investissent de plus en plus, non seulement pour permettre un meilleur approvisionnement en médicaments essentiels, mais également pour favoriser la fourniture de soins de santé universels efficaces dans le monde entier. Sur les objectifs – plus de vingt – devant permettre la réalisation des huit Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) fixés par les Nations Unies en 2000, seul celui de l’accès à des médicaments abordables a été abandonné. Il faut admettre qu’en dépit de la difficulté à collecter des données universelles sur l’accès aux médicaments de base essentiels (généralement tombés dans le domaine public), les chiffres obtenus constitueraient un indicateur utile de la qualité globale des soins de santé disponibles dans les localités pauvres. À ce titre, l’existence de telles statistiques pourrait être problématique pour les gouvernements et les gros intérêts locaux connexes dans les environnements où de telles informations ouvriraient la voie à des accusations leur reprochant d’investir insuffisamment dans des formes de soins de santé abordables. La gestion de l’accès à des produits tels que des traitements contre le VIH, dont la propriété intellectuelle est protégée, ne peut pas comporter de tels risques politiques locaux. Dans la nouvelle ère des Objectifs de Développement Durable, les Nations Unies vont espérons-le progresser et soutenir plus efficacement un accès mondial de qualité aux médicaments essentiels et autres traitements abordables. Mais ce n’est pas en cherchant à saper le système actuel des lois régissant la propriété intellectuelle que l’on y parviendra. Il va plutôt falloir que les Nations Unies et les autres agences internationales travaillent au sein de partenariats constructifs, à la fois avec des gouvernements bien intentionnés et avec des organismes du secteur privé bien motivés, y compris les sociétés de recherche pharmaceutique qui œuvrent sincèrement en faveur de l’amélioration de la santé dans le monde. Si l’on veut optimiser le rythme du développement de l’humanité, il faut respecter tant les droits aux soins de santé universels que ceux d’une propriété intellectuelle responsable. La communauté mondiale dans son ensemble va devoir trouver de nouveaux moyens pour s’assurer que ses membres les plus pauvres puissent jouir d’un accès équitable à des soins de santé de qualité. Mais cela va requérir bien plus que des mesures visant simplement à restreindre ou diluer les droits de brevet et droits connexes alloués aux innovateurs pharmaceutiques. La communauté mondiale dans son ensemble va devoir trouver de nouveaux moyens pour s’assurer que ses membres les plus pauvres puissent jouir d’un accès équitable à des soins de santé de qualité. Mais cela va requérir bien plus que des mesures visant simplement à restreindre ou diluer les droits de brevet et droits connexes alloués aux innovateurs pharmaceutiques. L’une des possibilités serait, par exemple, de demander à toutes les nations désireuses de bénéficier des lois du commerce international de consacrer une somme minimum de leur PIB, disons 5 %, à des services de santé publics pour la moitié la plus pauvre de leur population. David Taylor est professeur émérite en politique pharmaceutique et de santé publique à l’UCL (University College London, au Royaume-Uni). Ses travaux actuels portent sur l’élaboration de politiques pharmaceutiques et de santé publique, et sur le développement de la pharmacie, de l’industrie pharmaceutique et la prestation de soins de santé accessibles à l’échelle mondiale. Cette série d’articles est sponsorisée par l’International Federation of Pharmaceutical Manufacturers and Associations (IFPMA). L’IFPMA prône des solutions qui considèrent de manière holistique l’accès aux médicaments et s’appuient sur de solides cadres d’innovation fournissant des mesures incitatives pour favoriser les investissements dans la R&D et un accès durable aux nouvelles solutions technologiques de santé servant l’intérêt à long terme des patients. [1] QALY (quality-adjusted life year) : mesure de la charge globale de la maladie, en tenant compte à la fois de la qualité de vie et de la quantité d’années vécues. Image Credits: Image Source/Getty Images Share this Story:Click to share on Twitter (Opens in new window)Click to share on LinkedIn (Opens in new window)Click to share on Facebook (Opens in new window)Click to email this to a friend (Opens in new window)Click to print (Opens in new window) Related Guest contributor may be reached at info@ip-watch.ch."Innovation et accès : fission ou fusion ? Entretien avec David Taylor, Professeur en Politique Pharmaceutique et de Santé Publique à l’UCL (University College London)" by Intellectual Property Watch is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License.